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…  « Institut Universel de Formateurs  en Médiocrité ».

 Je laisse à votre réflexion le texte d’un enseignant abusé et désabusé, par ceux qui sont en situation d’apprendre à « transmettre le savoir ». Et donc le désastre qui s’ensuit.

A vous de juger et bonne lecture…

 Michael Fonton 

Pourquoi je ne serais pas prof…

 Professeur de sciences physiques, depuis la rentrée 2009, Mickaël Fonton effectuait son année de stage dans l’académie de Créteil. Il a finalement choisi de démissionner. Il s’en explique.

Devenir prof ? Pourquoi pas ! Ce n’était pas un rêve de jeunesse mais, issu d’une famille d’enseignants, j’ai baigné très tôt dans l’atmosphère des salles de classe. En tant qu’élève, j’avais été marqué par des professeurs qui avaient su me communiquer leur amour d’une discipline et le goût d’en dévoiler les richesses. Ayant fait un peu de recherche à l’université, je considérais enfin le métier d’enseignant comme un tout, un univers intellectuel où, après avoir écouté, appris, réfléchi, on peut transmettre un savoir.

Il ne s’agissait pas vraiment d’une vocation mais, quand même, d’une envie sincère et profonde d’exercer ce métier.

J’ai très vite déchanté. Je ne nourrissais pourtant guère d’illusions sur la réalité de l’enseignement, mais je ne pouvais pas imaginer ce qui m’attendait. Très vite, j’ai perdu l’envie nécessaire à la poursuite de ce métier. Ou plutôt, on m’en a privé. Quitter la fonction publique en pleine crise de l’emploi peut sembler irréfléchi, mais je ne regrette pas ma décision.

IUFM. Affecté dans un collège du Val-de- Marne, je devais suivre ma formation à l’IUFM de Créteil, en banlieue Nico parisienne. De ces quelques semaines, je retiens surtout un sentiment d’ennui et de vacuité : l’IUFM se refuse à la transmission pure et simple de consignes, à l’exposé de conseils fondés sur l’expérience. Le temps s’écoule à élaborer des réflexions, à animer des débats, à “construire la connaissance”. Les stagiaires travaillent sur des situations : « Que faire si un élève n’a qu’une feuille et un crayon ? » ; « Que faire en cas de retards répétés ? » ; «Un élève refuse d’enlever sa casquette, que lui dire ? » ;«Une boulette m’atteint dans le dos, comment réagir ? » ; « Je constate qu’un chronomètre a disparu, quelle attitude adopter ? ». À l’IUFM, on adore les études de cas, quel que soit le prétexte.

La réflexion se fait d’abord en petits groupes. Après vingt minutes de brouhaha, chaque groupe expose ses conclusions aux autres. Re-débat. Les différentes propositions sont ensuite synthétisées, avant que le formateur n’accouche enfin d’une ou deux suggestions. Souvent de bon sens, mais qui ne méritaient vraiment pas qu’on y passe deux heures ! D’ailleurs, la diversité des élèves et des situations est telle que ces conseils ne sont pas toujours adaptés.

Il arrive que l’on soit amené à réfléchir sur des sujets encore plus surprenants : « Comment se comporter devant des parents qui parlent mal le français ? » ; « Que faire s’ils ne se présentent pas à la convocation ? » (on dit “réunion” et non “convocation”, qui aurait un aspect trop impératif). Si tout n’est pas inutile, ces heures constituent néanmoins une évidente perte de temps qui finit par agacer.

Pédagogie. J’ai eu la chance d’échapper aux désormais célèbres “apprenants” (élèves), “espace de socialisation” (cour), “instrument scripteur” (crayon) et autres perles de la novlangue éducative. Les formateurs des IUFM n’en sont pas moins fidèles aux principes généraux édictés par des chercheurs en sciences de l’éducation qu’ils citent abondamment – surtout leur maître à penser, Philippe Meirieu. « Quand les savoirs ne sont des réponses à rien, il ne faut pas s’étonner des échecs », ai-je entendu. Inutile de souscrire à l’idée, forcément simpliste, qu’il suffit d’apprendre et d’appliquer. C’est aux élèves de construire leur propre savoir.

Le formateur me demande comment je compte les faire participer à mes cours. Avant chaque point du programme, je pense les questionner sur le sujet, écouter leurs propositions et répondre à la question en poursuivant le cours. Grave erreur. «Ce qui est dommage, dit le formateur, c’est que, là, le prof assène sa vérité » – et cela, ce n’est pas admis.

Une autre séance porte sur la notion d’évaluation, forcément délicate. Une stagiaire propose de glisser une question piège dans le texte d’interrogation. L’inconsciente ! La formatrice bondit, sourire ironique aux lèvres : « Un piège ? Vous voulez piéger vos élèves ? Vous êtes là pour les trier ? » Avant d’ajouter, à l’intention de tous les stagiaires : « Étaler les notes ne doit pas constituer un objectif : il n’est pas interdit d’imaginer une classe où tout le monde aurait 15 de moyenne ! » Et un peu plus tard encore : « Si un élève obtient la note de 2, mettez-lui 6, ça évitera de l’enfoncer, ça lui donnera l’espoir qu’il peut y arriver. » Ou encore cette phrase, à la limite de l’absurde : « Évitez les questions auxquelles l’élève ne pourra pas répondre s’il ne connaît pas la réponse… enfin s’il peut être bloqué par l’ignorance d’un terme ou d’une formule… » Somme toute, la règle est simple : « L’évaluation doit être valorisante pour l’élève. »

Collègues. Affecté dans un collège situé en zone sensible, je suis entouré de collègues guère plus âgés que moi. Pour la plupart, c’est leur premier poste. La salle des professeurs fait office de défouloir. Elle permet de toucher du doigt une réalité méconnue : les enseignants aiment l’autorité et réclament des sanctions.

Ils tiennent des propos à faire frémir un formateur d’IUFM. « Celui-là, il va vraiment falloir le virer ! Encore une semaine et je demande un conseil de discipline », fulmine Éric, un jeune professeur d’anglais, en parlant d’un élève difficile. « Je ne peux plus la voir en peinture ! Son frère, c’était pareil. C’est toute la famille ! », lance Florence, une charmante professeur de lettres, au sujet d’une élève qui l’a prise en grippe.

Lorsqu’il arrive, le stagiaire est en général bien entouré. Les conseils sont assez simples : « Ne laisse rien passer » ; « Sois impitoyable » ; « Au moindre problème, tu me l’envoies ! Je vais le pourrir », etc. Ces propos autoritaires, voire violents, me laissent songeur. Les professeurs seraient-ils devenus des adeptes de la discipline la plus stricte ? Non. Sauf exception, les profs sont pour l’autorité, mais au cas par cas, pour “gérer” le quotidien, c’est tout. Une politique éducative prônant officiellement le recours à la sévérité reste mal vue : la salle des profs est tapissée de plaisanteries visant Nicolas Sarkozy ou les dernières réformes de Xavier Darcos ou Luc Chatel.

Quand un jeune professeur de français, à la recherche d’un appartement, déclare : «Conceptuellement, je ne pourrais jamais habiter à Neuilly », tous ses collègues semblent trouver que cela va de soi. Les profs n’ont pas basculé du côté des “valeurs de droite”, loin de là. Et quand on lance le débat sur la crise de l’école, la plupart se rabattent sur l’idée qu’il manque des moyens. Pourtant, tous admettent que ce n’est pas le nombre d’élèves par classe qui pose un problème (vingt-cinq, en ce qui me concerne) mais la présence, dans chaque classe, d’adolescents particulièrement pénibles qui n’ont pas trouvé leur place dans l’enseignement général.

Discipline. Mon établissement était classé en “prévention violence”, ce qui signifie que la violence n’est pas là mais qu’elle n’est pas loin. D’une certaine façon, j’ai eu de la chance : en Zep (zone d’éducation prioritaire), c’est pire. J’ai donc eu affaire à des élèves « pénibles mais pas méchants », selon mes collègues. Des élèves qui font exprès d’arriver en retard et qui entrent en classe sans s’excuser. Qui n’ont jamais leurs affaires. Qui ne notent pas le cours ou le prennent sur une feuille volante qu’ils jettent en sortant de la salle. Qui négligent ostensiblement le corrigé du devoir. Qui sont incapables de rester calmes plus de deux minutes et qu’il faut constamment rappeler à l’ordre – sans en faire trop, pour ne pas leur donner trop d’importance (sinon, nous dit-on en formation, « c’est vous qui, finalement, aurez perturbé la classe »). Des élèves qui répondent de manière insolente : «Moi, je vous parle pas comme ça ! » Qui refusent d’obéir : « Vous avez pas le droit de prendre mes affaires ! » Qui se lèvent, s’interpellent, s’insultent, font du cinéma. Comme Karim, qui glisse un pull sous son teeshirt en guise de fausse poitrine et fait des gestes obscènes en direction des filles. Dylan, qui me dit soudain : « M’sieur, vous avez les joues rouges ! Vous vous êtes fait tarter ? » Mona qui, quand je lui demande si ça la fait rire d’être rappelée à l’ordre, me répond « Oui ! » en riant de plus belle. Mohammed qui insulte Sylvain ; Lydie et Yasmina qui bavardent tout le temps ; Diaby qui explose parce que je l’ai réprimandé alors que « c’est Ali qui m’a demandé mon effaceur ! ». Chaque heure de cours est émaillée d’incidents. Les séances où je m’interromps moins de dix fois pour ramener le calme se comptent sur les doigts d’une main.

À l’IUFM : “Ayez de l’humour mais pas trop, soyez ferme mais souple”…

Pour lutter contre ce qu’on n’ose plus appeler de l’indiscipline, j’avais à ma disposition tout un arsenal de moyens. Théoriques, sous forme de conseils dispensés par l’IUFM : « Ne réagissez pas au quart de tour ; ce n’est pas vous qu’ils attaquent mais le professeur à travers vous » ; «Ayez de l’humour, mais pas trop, soyez ferme mais souple, fixez des principes mais sachez transiger ». Bref : débrouillez-vous ! Les élèves ont évolué, la société a évolué, il faut savoir s’adapter.

Des moyens pratiques aussi, mis en œuvre par l’établissement. Une grille de sanctions très précise et, au premier abord, assez coercitive. Néanmoins, la mécanique de la sanction s’use vite. On peut difficilement exclure trois élèves par cours, au risque de leur rendre cette punition indifférente et d’encombrer le bureau du conseiller principal d’éducation – qui vous en fera vite la remarque. Et puis, de quel moyen dispose-t-on face à un élève que n’effraient ni le mot dans le carnet, ni l’heure de colle (« J’en ai quatre par semaine, je m’en fous ! »), ni la convocation des parents ? Il faut “gérer” la situation. Savoir la prendre “avec détachement”. Deux mois, seulement, après avoir commencé à enseigner ? Mais dans quel autre univers professionnel voit-on cela ?

Évidemment, il y a pire. Des professeurs insultés, agressés : des faits divers rapportés dans tous les journaux. En écoutant les récits de mes collègues stagiaires, lors de nos séances de thérapie collective à l’IUFM, j’ai compris que mes difficultés n’avaient vraiment rien d’exceptionnel.

Niveau. Devant l’inculture de mes élèves de quatrième (de 13 à 15 ans), je me suis posé dix fois la question : mais que font les instituteurs ? Voilà des élèves qui sont incapables d’écrire deux lignes sans faute, de faire des phrases cohérentes à l’oral, qui ne savent pas se concentrer, dont on ne peut rien exiger sur la durée. Leur demander une recherche personnelle ? Les trois quarts d’entre eux vont se borner à faire des copier-coller de ce qui leur tombera sous la main sur Internet. Leur capacité d’initiative ? On attend encore. Leur curiosité ? Rien ne les intéresse. Quand un de leurs camarades pose une question, ils n’écoutent pas la réponse. Et il faudrait remplacer le cours par des “fiches d’activités” ? Les faire manipuler en classe, à chaque séance, sous peine d’encourir les foudres des formateurs ou de l’inspection ? Quand ils sortent de classe, ces élèves n’ont rien appris, rien compris et les quelques vagues notions qui subsisteront peut-être, par chance (une expérience “marrante” ou un détail “trop frais”), seront effacées aux premières vacances.

Être prof dans ces conditions-là donne l’impression de participer, à son corps défendant, à un vaste processus de destruction, ou à la parodie d’un métier que personne n’osera plus qualifier de plus beau du monde. (Source : valeurs actuelles)

Tag(s) : #Réflexions
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